Le 12/04/2024 par La rédaction

Dans une proposition de loi démagogique et scandaleuse, le sénateur centriste H. Marseille a porté l’idée d’une suspension du droit de grève dans les transports pour certaines périodes de l’année, fixées au bon vouloir du Gouvernement… Un texte qui, après de nombreuses modifications, a été adopté par le Sénat ce 9 avril.

La CFDT a été reçue en audition par le  sénateur rapporteur du texte, P. Tabarot, le 29 mars. La FGTE a fait connaître à cette occasion sa position aux Sénateurs sur un texte qu’elle juge à la fois inopportun, inconstitutionnel et incohérent. D’autres secteurs de la FGTE ont été reçus par des groupes politiques la semaine suivante, avant le vote en première lecture, et ont fait également valoir leur opposition absolue et argumentée à ce texte.

La FGTE-CFDT a ainsi indiqué aux sénateurs que si cette initiative se poursuivait, notre organisation la combattrait sans hésitation par tous les moyens légitimes.

1/ Une proposition de loi inopportune

La FGTE rappelle qu’il existe déjà un dispositif très complet d’encadrement du droit de grève dans les secteurs du transport public qui laisse la place à la concertation et à la négociation (alarme sociale 14 jours avant, concertation obligatoire, préavis 5 jours avant, négociation obligatoire, et déclaration individuelle 48 h avant).

Dans un contexte où se développent des revendications catégorielles radicales et non régulées (collectifs de salariés), prétendre imposer une trêve sociale en légiférant pour suspendre le droit de grève est illusoire et dangereux. On a au contraire besoin de plus de dialogue social et de plus d’intermédiation par les syndicats pour pacifier les relations sociales quand elles se tendent. Il s’agirait donc bien plutôt de redonner plus de moyens pour le dialogue social de proximité qui a justement été déshabillé par la dernière réforme du code du travail.

La FGTE rappelle aussi que toutes les tentatives historiques d’interdire ou de contourner le droit de grève en France n’ont jamais fonctionné : lorsque par exemple l’Etat a voulu avoir recours à des réquisitions dans les mines en 1963, pour casser la grève des mineurs, les travailleurs ont quand même cessé le travail massivement malgré les interdictions, rendant les sanctions inapplicables. Plus récemment, on a pu voir l’impuissance du Gouvernement à empêcher les blocages des routes par les agriculteurs. Le fait social s’impose de lui-même : quand un mouvement de travailleurs est massif, l’interdiction légale est très difficile voire impossible à faire respecter par la force.

En revanche, si on veut inciter à une gilet-jaunisation des relations sociales, ce texte est sans doute le meilleur chemin à suivre !

Le moment choisi pour présenter un tel texte semble d’ailleurs totalement inopportun : en plus des légitimes revendications des travailleurs sur leur pouvoir d’achat qui s’expriment par exemple très vivement dans la logistique, le secteur des transports connaît de lourdes transformations :

  • Ouverture à la concurrence ou remise en concurrence (SNCF, RATP, réseau OPTILE, transports urbains, ports de commerce…)
  • Déstabilisation d’acteurs historiques
  • Transition écologique

En outre il existe encore de vives tensions autour de l’organisation des JO 2024 et une très forte opposition des salariés et de leurs organisations à une nouvelle réforme de l’assurance chômage et à une future « loi travail » annoncée pour l’automne.

Enfin le secteur des transports connaît aussi un très important problème d’attractivité des métiers avec des difficultés de recrutement considérables : le déficit prévisionnel de personnel à l’horizon 2030 est estimé à 384 000 salariés dont 45 000 conducteurs de véhicules manquants.  

Pour la FGTE, ça n’est donc certainement pas en ajoutant des contraintes et des sujétions supplémentaires à des personnels qu’on a déjà du mal à trouver qu’on aura une plus grande continuité du service !

La CFDT le redit : la solution à toutes ces problématiques et aux tensions sociales qui en découlent ne réside pas dans l’interdiction et dans la répression. Elle est dans un dialogue social qui fonctionne mieux et qui porte du fruit.

2/ Une proposition de loi inconstitutionnelle et incohérente

La FGTE-CFDT a aussi fait valoir aux sénateurs un certain nombre d’arguments juridiques qui vont très clairement à l’encontre de l’entrée en vigueur d’un tel texte.

Pour la CFDT l’interdiction n’entre pas dans le champ de « la réglementation » du droit de grève prévue par l’article 34 de la Constitution. Ce que le texte propose ici c’est la suspension pure et simple d’une liberté constitutionnelle. Or, réglementer ça n’est pas suspendre ! Une telle disposition n’est donc pas viable.

Par ailleurs ce texte prévoit de déléguer au pouvoir du Gouvernement l’arbitrage et la priorisation entre plusieurs libertés constitutionnelles. Or c’est un domaine strictement réservé à la loi en France. De quel droit le Gouvernement pourrait-il choisir que la liberté de circulation pour les vacances serait supérieure à la liberté de circulation au quotidien pour aller travailler, passer un examen ou aller à l’école ? Pourra-t-on comprendre en fonction des dates choisies que le droit à une vie familiale normale est supérieur à l’occasion d’une fête d’origine chrétienne qu’à l’occasion d’une autre fête ?

Tout cela serait d’une très grande fragilité et confine à l’amateurisme !

Quant aux dispositions répressives initiales -pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement des travailleurs !-, elles étaient de toute évidence disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.  Le principe de la stricte nécessité de la peine (reconnu depuis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) se trouvait totalement bafoué dans cette première version du texte qui conduisait à une forme de réquisition générale du personnel au mépris des strictes conditions juridiques de l’exception et de l’urgence dans lesquelles la réquisition peut seulement être envisagée.

Enfin la FGTE-CFDT a pointé auprès des sénateurs l’extrême confusion du texte qui mélange les services commerciaux et les services publics de transport, l’ordre public et le fonctionnement d’un service de transport. Pour justifier de telles mesures exorbitantes, le texte ne prend même pas la peine de qualifier les transports de « service essentiel ».

Et pour cause : si une telle qualification juridique était retenue par la loi, encore faudrait-il peut-être songer à rétribuer ses personnels à la juste mesure du service rendu…

A la suite d’une séance publique laborieuse le 9 avril, la majorité sénatoriale de droite s’est évertuée à tenter de rendre ces dispositions un peu plus présentables : suppression des sanctions pénales, limitation des restrictions aux personnels indispensables au fonctionnement des services, réduction des périodes de suspension du droit de grève…

Peine perdue et objectif manqué pour la FGTE-CFDT : ce texte reste juridiquement inconstitutionnel et socialement inacceptable.

Gageons qu’il n’ira pas plus loin que le Sénat. Dans le cas contraire, la riposte de la FGTE-CFDT sera immédiate et vigoureuse.