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[DOSSIER 1/3] L’UNIVERSITÉ SOUS PRESSION

Avec toujours plus d’étudiants à accueillir chaque année, les facs doivent se réinventer pour assurer la réussite de tous.

La génération 2000 bouscule l’université

Les étudiants nés au début du millénaire débarquent massivement dans les amphis, sans forcément détenir les codes de la réussite. L’université tente de s’adapter à ce nouveau public avec des moyens limités. Reportage.

Léa et Zia scrutent, fébriles, le tableau des emplois du temps de la première année de droit. Depuis quelques jours, les deux copines de Tourcoing se retrouvent plongées dans un nouvel univers. Fini le cocon du lycée, les salles de classe et la cloche qui sonne. Place à l’anonymat de l’université, aux amphis bondés et aux emplois du temps qui varient d’un semestre à l’autre. « Nous n’avions jamais mis les pieds sur le campus avant cette semaine. Il n’y a pas beaucoup d’indications. Le premier jour, on s’est trompé d’amphi, sourit Zia, pas si déstabilisée que ça par son nouvel environnement. On est beaucoup plus autonome qu’au lycée, c’est moins stressant. » « Le plus difficile, c’est la prise de notes, relève timidement Léa. On nous donne quelques conseils mais chacun doit quand même un peu se débrouiller par lui-même. »

Ils sont nombreux comme elles à faire leurs premiers pas (hésitants) hors des clous de l’enseignement secondaire. En cinq ans, les effectifs de la faculté de droit de Lille ont explosé. Plus 60 % en première année. « Lors de la rentrée 2017, nous avons inscrit 1500 étudiants en première année de licence »précise Jean-Christophe Deriau, responsable de la scolarité. Les murs de ce campus coincé entre les anciennes filatures de la capitale du Nord ne sont pourtant pas amovibles. Impossible d’agrandir des amphis conçus pour accueillir 650 étudiants au maximum.

Seule solution, organiser des roulements entre les effectifs répartis en trois sections afin d’assurer les cours magistraux. Pour les travaux dirigés, c’est une autre paire de manches. « Nous sommes dans l’optimisation de l’espace en permanence, souligne sa collègue Violaine Sander. Les emplois du temps et le calendrier des examens sont fixés en fonction de l’occupation des locaux. Nous n’avons plus aucune souplesse. »

Toujours plus d’étudiants

LILLE VJARROUSSEAUParadoxalement, alors que tout le monde s’attendait à un pic d’affluence cette année avec l’arrivée en masse des enfants nés en 2000, la courbe des effectifs en droit, en administration économique et sociale et en sciences politiques affiche un léger repli. Un « trou d’air » comblé d’ici à la fin du mois ? Possible.

Marie-Christine Vermelle, maître de conférences en sociologie, et élue CFDT, avance une explication : avec Parcoursup (lire l'encadré ci-dessous), certains étudiants ont connu leur affectation tardivement, la procédure d’admission complémentaire s’étant achevée le 21 septembre. Le nombre d’inscrits pourrait donc encore croître. Une chose est sûre, cependant. La tendance lourde, elle, n’a pas changé. Elle est largement orientée à la hausse depuis des années. Sur la base des derniers chiffres fiables, en attente de l’arrêt des comptes pour 2018, l’année 2017 a affiché un nombre record d’étudiants à Lille. Ils étaient 64 460 à s’asseoir sur les bancs des trois sites de l’université.

À l’autre bout de la ligne de métro, sur le campus de la Cité scientifique de Villeneuve-d’Ascq, Anne-Cécile Caron, enseignante-chercheuse en informatique et cosecrétaire de la section Sgen-CFDT de l’université, témoigne : « Nous avons des salles équipées de 16 ou 24 machines. Les étudiants sont parfois trois, voire quatre par écran. C’est terriblement frustrant pour eux comme pour nous ! Il est évident que, dans ces conditions, l’étudiant qui est le moins à l’aise est exclu. »

Face à ce problème récurrent de surpopulation étudiante, difficile de proposer un encadrement adapté, même si des mesures d’accompagnement plus ou moins approfondies se multiplient dans les universités (lire Dossier 2/3 : "Un accueil sur mesure"). Depuis des années, le SUIAO (service universitaire d’information, d’accueil et d’orientation) de Lille propose, par exemple, des suivis collectifs afin d’expliquer ce que signifie le « métier » d’étudiant, pour préparer un projet professionnel ou travailler sur des portefeuilles d’expériences et de compétences. Les étudiants peuvent aussi bénéficier d’un soutien individuel.

« Nous nous sommes battus pour que notre service soit le plus ouvert possible, que les étudiants puissent nous contacter sans rendez-vous, insiste la chargée d’orientation Andréa Fernandez. Pendant ces entretiens, on essaye de motiver des étudiants qui se sentent en situation d’échec, surtout en première année. On met en valeur ce qu’ils ont acquis et ce sur quoi ils peuvent s’appuyer pour rebondir. »

Accompagner les plus fragiles

Même dans les IUT (instituts universitaires de technologie), dont l’accès est sélectif et où les étudiants sont plus encadrés qu’en licence, la marche est haute entre la classe de terminale et la première année. « Le premier semestre est axé sur les sciences, et le niveau est vraiment élevé, témoigne Éliot, 20 ans, qui attaque sa deuxième année de sciences et génie des matériaux à l’IUT de Nantes. Les bacs S s’en sortent bien, mais les bacs technologiques – et je suis dans ce cas – ont du mal à suivre. J’en connais un qui a laissé tomber au bout de quelques mois. On peut se faire aider, mais ce n’est plus comme au lycée, c’est à nous de faire la démarche. »

Yves Pouzaint NANTES VJarrousseauIci, comme partout ailleurs, les étudiants issus des milieux les moins favorisés, majoritaires dans les bacs pros et technos, sont les premiers à payer au prix fort ce sous-investissement chronique. « Il nous manque en moyenne 600 euros par an et par étudiant, déplore Yves Pouzaint [photo], élu au conseil d’administration de l’Université de Nantes et enseignant à l’IUT, intégré à l’université. Nous avions voulu mettre en place un soutien renforcé aux bacheliers professionnels, les plus en difficulté dans notre IUT, mais nous avons dû renoncer, le compte n’y était pas. »

Une forme de sélection naturelle s’opère dès la première année. « À l’université, on exige une autonomie importante : savoir prendre des notes de façon efficace, pouvoir se plonger seul plusieurs jours d’affilée dans un livre et la rédaction d’un commentaire, faire preuve d’esprit critique, note Jules Donzelot, sociologue (lire son interview)Ceux dont les parents sont diplômés du supérieur, dont un frère ou une sœur est déjà passé par là ou qui sont conseillés par un enseignant, sont mieux préparés. Tous les autres présentent un risque élevé d’échec, même s’ils avaient de bonnes notes au lycée. »

L’innovation pédagogique en renfort

Pour donner davantage de chances aux plus fragiles, de nombreuses universités se lancent dans l’innovation pédagogique et misent sur le numérique. À l’Université de Lille, des outils vidéo ou audio sont mis à la disposition des enseignants afin de mieux accrocher l’attention de leur public ; certains utilisent des sondages en fin de cours pour mesurer le degré de compréhension du cours précédent ; d’autres développent des concepts de blended learning (apprentissage hybride) mélangeant apprentissage en présentiel et cours en ligne.

D Averty NANTES VJarrousseauSur son campus scientifique, l’université a ouvert un bâtiment, sorte de bibliothèque du futur, imprégné de ces nouvelles façons d’apprendre. « Les étudiants peuvent y travailler en groupe en réservant de petites salles pour cinq ou six, équipées d’outils numériques. »

À Nantes aussi, le numérique est au cœur de la transformation pédagogique. « Les jeunes ont changé, ils n’arrivent plus avec le même bagage, les mêmes compétences, les mêmes modalités d’apprentissage, constate Dominique Averty, vice-président de la formation à l’Université de Nantes. Nous avons une adéquation à repenser afin de leur garantir une insertion professionnelle, en adaptant nos formations aux métiers et aux besoins en compétences de demain, liées à la digitalisation, à l’intelligence artificielle, à l’internationalisation. » Il y a urgence. Seuls 40 % des étudiants qui entrent aujourd’hui à l’université réussissent leur première année, un non-sens économique et un gâchis humain. 

 

mneltchaninoff@cfdt.fr et dprimault@cfdt.fr

     

 Parcoursup, premier bilan encourageant

La première saison de Parcoursup touche à sa fin. La nouvelle plateforme d’inscription des bacheliers dans le supérieur a succédé au système APB, qui a calé à la rentrée 2017, avec en point d’orgue le tirage au sort des étudiants. Le nouveau système permet aux étudiants de postuler à plusieurs formations sans les classer et de choisir ensuite parmi plusieurs propositions. En attendant un bilan officiel, prévu fin septembre, les premiers résultats sont encourageants. 

« Sur les 800 000 jeunes inscrits sur Parcoursup, plus de 580 000 avaient reçu une affectation début septembre, contre 540 000 à la même date en 2017 avec le système APB »affirmait Jimmy Losfeld, président de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), le 12 septembre dernier.

Sur le plan technique, la plateforme n’a pas démérité. Quant au reproche qui lui est fait d’accentuer les inégalités, il semble infondé. La loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants, dont Parcoursup est l’outil essentiel, a pour objectif affiché d’améliorer l’égalité des chances, en introduisant notamment des quotas « mobilité » : l’obligation pour les formations d’accueillir un pourcentage de boursiers, de bacheliers technologiques ou professionnels.

Les premiers chiffres montrent une progression du taux de ces jeunes dans les filières de leur choix. Il n’en reste pas moins que la procédure a été longue, éprouvante, générant du stress autant chez les jeunes et les parents que chez les responsables de formation, qui ont vu les effectifs évoluer jusqu’en septembre. Des ajustements sont à prévoir. « Nous avons obtenu qu’un comité de suivi évalue régulièrement les résultats de Parcoursup, notamment en matière d’égalité des chances », explique Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT. La présence au sein de ce comité de personnalités telles que François Dubet et Marie Duru-Bellat, des sommités dans le domaine de la sociologie de l’éducation, est à cet égard une garantie. 

     

©Photos Vincent Jarrousseau

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