Devant l’échec massif en licence, les universités tentent d’innover. Elles sont encouragées dans cette voie par la loi Orientation et réussite des étudiants.

Un accueil sur mesure
Cette année, une nouvelle catégorie d’étudiants a fait son apparition dans les amphis : les « Oui, si… » Ceux dont la candidature sur Parcoursup a été acceptée, malgré un dossier un peu juste, et qui ont donc besoin de soutien pour ne pas perdre pied au fil de l’année. En signant un contrat pédagogique avec l’université qui les accueille, ces étudiants s’engagent dans un dispositif de suivi individualisé, comme le prévoit la loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants, votée en mars dernier.
Cela représente un coût non négligeable pour les universités qui ont arbitré au plus juste au moment de l’examen des candidatures sur Parcoursup. « Cet été, en commission d’admission, nous avons dû reverser des dossiers a priori éligibles au “Oui, si…” dans la liste des “Oui” afin de réserver le dispositif aux étudiants qui en ont le plus besoin », explique François Legendre, enseignant-chercheur à l’Université de Cergy-Pontoise.
Un accompagnement mieux ciblé
Fait suffisamment rare en ces temps d’économies pour être souligné, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a accordé aux universités une rallonge budgétaire de près de 30 millions d’euros pour les quatre derniers mois de 2018 et de 58,6 millions pour l’année 2019, destinés à financer les projets d’accompagnement mis en place par les universités.
À cela s’ajoutent les enveloppes attribuées aux établissements qui ont gagné l’appel à projets sur les « Nouveaux cursus universitaires », dans le cadre du troisième volet du programme d’investissements d’avenir, et qui garantit un financement sur dix ans aux universités qui mettent en place des mesures spécifiques visant à enrayer l’échec en licence et améliorer l’orientation. Un effort salué par Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT : « C’est un changement de philosophie. On reconnaît enfin qu’une partie des jeunes qui arrivent à l’université ne maîtrise pas les codes de l’enseignement supérieur et a besoin de soutien. Nous avons pour la première fois une réforme dotée d’un financement pluriannuel, ce qui donnera de la visibilité aux universités. Ces nouveaux crédits vont pousser celles qui ne se préoccupaient pas de l’échec en licence à travailler sur le sujet. »
Modules de renforcement en effectif réduit, Mooc (cours sur internet) pour combler des lacunes dans une discipline, possibilité d’étaler la première année sur deux ans, les formules choisies ne sont pas les mêmes d’une université à l’autre. Certaines n’ont pas attendu la réforme pour expérimenter, mais vont renforcer leurs dispositifs dès cette année. C’est le cas à Nantes, où le constat revient à chaque rentrée : de nombreux étudiants de première année abandonnent les cours au bout de quelques semaines. « Afin d’y remédier, nous avons mis en place des enseignants référents pour suivre ceux qui sont le plus en difficulté, précise Dominique Averty, vice-président Formation et vie universitaire. Cette année, grâce aux informations obtenues dans les dossiers Parcoursup, nous pouvons mieux cibler nos actions de remédiation, telles qu’un tutorat obligatoire pour les “Oui, si…”. »
Revaloriser la pédagogie
Dans tous les cas de figure, rien ne pourra se faire sans un fort engagement des enseignants-chercheurs sur le volet de la pédagogie. Or ce n’est pas l’aspect le plus valorisé de leur mission. « Les collègues qui s’impliquent davantage dans la pédagogie savent qu’ils font une croix sur leur carrière, car ce sont les activités de recherche, évaluées au nombre de publications, qui permettent d’évoluer professionnellement », regrette Christine Barralis, militante Sgen et enseignante à l’Université de Lorraine. C’est la raison pour laquelle le Sgen-CFDT demande que ce temps d’investissement pédagogique soit reconnu au même titre que la recherche, aussi bien sur le plan indemnitaire que sur celui du déroulé de carrière. Une concertation en cours pourrait permettre des progrès dans ce sens, au bénéfice de tous, enseignants et étudiants.
©Photo Vincent Jarrousseau
INITIATIVES Des étudiants s’engagent auprès des plus jeunes Comment se projeter dans des études alors que personne dans sa famille n’est allé au-delà du collège ? C’est à partir de cette interrogation que l’Afev, l’Association française des étudiants volontaires, conçoit ses actions en faveur d’enfants de quartiers populaires. Les bénévoles s’engagent à accompagner un élève du primaire ou du secondaire pendant une période de deux ans. « Nous nous rendons deux heures par semaine au domicile des élèves, explique Pierre Mars, 22 ans, bénévole depuis trois ans et aujourd’hui permanent de l’association, à Caen. Nous les aidons à s’organiser, à acquérir de bonnes méthodes, à repérer les sources d’information pour leur orientation ; nous avons accès au livret numérique de l’élève et nous dialoguons avec la famille. » Sept mille enfants bénéficient de ce mentorat, accompagnés par autant d’étudiants, dont l’engagement est désormais valorisé par une majoration de note ou un certificat. À ce suivi individuel s’ajoutent des actions collectives, à la demande des établissements. « Nous intervenons devant des classes, dans des collèges ou des lycées professionnels ou généraux, explique Pierre. Dans ma région, je vois souvent des jeunes isolés, qui vivent en zone rurale et n’imaginent pas de quitter le cadre familial pour faire des études, ils pensent que ce n’est pas pour eux. Certains n’ont jamais entendu parler des bourses ou des filières en alternance. Discuter avec un étudiant à peine plus âgé qu’eux et qui a osé franchir le pas leur ouvre des perspectives. » Du bac moins trois au bac plus trois L’Afev envisage aujourd’hui d’appliquer aux étudiants la recette éprouvée auprès des collégiens et des lycéens et de développer un accompagnement individuel des étudiants par des bénévoles au début du cursus universitaire. « En France, nous nous sommes trop longtemps focalisés sur l’idée de l’accès aux études supérieures des jeunes des classes populaires sans nous poser la question de la réussite. Nous sommes convaincus que tout se joue dans une continuité du bac moins trois au bac plus trois, explique Eunice Mangado-Lunetta, directrice déléguée de l’Afev. C’est le sens de notre programme Demo-campus, placé sous la direction scientifique de Jules Donzelot » [lire ci-dessous]. L’Afev travaille à développer, en partenariat avec les universités, le secteur associatif, les ministères concernés et les collectivités locales, une sorte de « Aimhigher » (programme d’intégration des jeunes des classes populaires à l’enseignement supérieur au Royaume-Uni. Lire l’interview ci-dessous) à la française. |
“Au Royaume-Uni, on élève le niveau d’aspiration des jeunes”
Jules Donzelot est sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste des politiques d’égalité des chances éducatives. Et auteur d’une thèse sur la politique ambitieuse menée par le Royaume-Uni.
De quelle façon le Royaume-Uni parvient-il à faciliter l’accès des jeunes de milieu populaire au supérieur ?
Des actions de découverte de l’université sont proposées aux élèves d’origine populaire depuis l’école primaire jusqu’à la fin du secondaire, c’est ce que l’on appelle en Angleterre le « cursus parallèle d’apprentissage ». Au cœur de la philosophie d’action des Anglais, on trouve le souci de l’engagement parental, le principe de l’accompagnement des élèves par des étudiants, l’idée que la réussite doit dépendre du projet individuel et non l’inverse, et enfin une démarche extrêmement active de familiarisation en amont des élèves les plus fragiles avec le monde des études supérieures. Pour y parvenir, les Anglais ont entrepris dès le début des années 2000 d’« élever et diversifier les aspirations » de toute une classe d’âge avec le programme « Aimhigher » [viser plus haut], mené de 2004 à 2011 et financé par un budget exceptionnel de 100 millions d’euros par an. Aujourd’hui, ces actions ont été intégrées au fonctionnement habituel des universités. Ces dernières y consacrent chaque année 300 millions d’euros.
Cette politique volontariste a-t-elle porté ses fruits ?
Depuis les premières mesures d’Aimhigher en 2004, on assiste au Royaume-Uni à une réduction lente mais régulière des écarts d’accès et de réussite entre les groupes sociaux favorisés et défavorisés, à rebours des tendances observées lors des trois décennies précédentes et bien loin des mauvais résultats que nous connaissons en France.
Les mesures d’accompagnement qui commencent à se mettre en place dans les universités françaises vont-elles dans le même sens ?
En France, tout au long du cursus des élèves, on privilégie une approche académique, avec du soutien scolaire, du tutorat individuel, des sorties culturelles… Soit des formes d’accompagnement nécessaires mais pas suffisantes. L’approche doit être globale et porter sur la maîtrise des outils et des méthodes d’apprentissage mais aussi sur les conditions de vie matérielles et sociales des étudiants. Nous sommes encore loin du compte.
Propos recueillis par mneltchaninoff@cfdt.fr
©Photo DR
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