Le 11/08/2025 par La rédaction

Bruxelles, 24 juin 2025 – Une audition publique organisée le 24 juin au Parlement européen a levé le voile sur l’ampleur de l’exploitation dans le secteur de la logistique en Europe. À l’initiative de la députée européenne Estelle Ceulemans(S&D), la séance a réuni syndicalistes, chercheurs, représentants de la Commission européenne et responsables d’agences européennes, autour d’un rapport accablant intitulé « Sorry, we subcontracted you » soit « pardon, nous vous avons sous-traité », publié par la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) et l’Institut syndical européen (ETUI).

 Un système de sous-traitance organisé pour éroder les droits

Le rapport met en lumière un usage massif et structuré de la sous-traitance dans la logistique, qui permet aux grandes entreprises de déléguer leurs responsabilités sociales et juridiques à des chaînes d’intermédiaires diluant ainsi la responsabilité. Résultat : des conditions de travail dégradées, des salaires en baisse, un affaiblissement de la négociation collective et une précarité croissante, notamment pour les travailleurs migrants et détachés.

Ce phénomène ne relève pas d’un dysfonctionnement mais d’un modèle économique délibéré, selon les auteurs. De nombreux témoignages ont décrit des chauffeurs surexploités, des livreurs sans couverture sociale, et des licenciements abusifs lorsque des sous-traitants disparaissent du jour au lendemain.

 Une chaîne logistique opaque et volatile

Les intervenants ont insisté sur la complexité des chaînes de sous-traitance, qui rend souvent impossible l’identification de l’employeur réel. Ce manque de transparence est aggravé par le recours à des entreprises “boîtes aux lettres”, la courte durée de vie des sous-traitants, et la fragmentation des responsabilités.

Les algorithmes de gestion du travail accentuent cette opacité, en dictant des rythmes intenses, sans espace pour la négociation collective ni pour la sécurité.

Une réponse européenne encore trop timide

Stefan Olsson, directeur à la DG Emploi de la Commission européenne, a reconnu l’ampleur du problème :

« Il y a une très forte pression sur la négociation collective et beaucoup de risques sociaux. »

Il a rappelé le rôle de l’Autorité européenne du travail (ELA), créée il y a cinq ans, qui commence à mener des inspections conjointes transfrontalières. Toutefois, 57 inspections dans le transport en cinq ans restent largement insuffisantes au regard de l’ampleur du phénomène, c’est ce qui a été mis en avant par Céline Ruffié, représentante FGTE-CFDT.

Des recommandations concrètes mais urgentes

Parmi les recommandations du rapport ETF/ETUI et des syndicats présents :

  • Interdire la sous-traitance des activités principales des entreprises ;
  • Limiter la longueur des chaînes de sous-traitance ;
  • Responsabiliser juridiquement l’entreprise donneuse d’ordre à chaque niveau de la chaîne ;
  • Renforcer massivement les inspections du travail, notamment au niveau transnational ;
  • Soutenir l’accès à la justice pour les travailleurs, avec le droit pour les syndicats d’agir en justice ;
  • Faciliter l’activité syndicale auprès des travailleurs sous-traités et isolés ;
  • Adopter une feuille de route européenne pour des emplois de qualité, comme le prévoit le socle européen des droits sociaux.

 Un enjeu politique majeur

La confédération européenne des syndicats (CES), par la voix d’Esther Lynch, a dénoncé un système qui « élimine les droits des travailleurs au nom du profit ».

« Ce n’est pas un modèle, c’est une arnaque. Nous avons besoin d’une Europe qui protège. »

Plusieurs eurodéputés, dont Marianne Vind (S&D) et Estelle Ceulemans (S&D), appellent à une réforme législative ambitieuse pour sortir de la logique d’exploitation.

Mais des tensions politiques émergent : certaines forces (notamment PPE) souhaitent relever les seuils d’application de la directive sur le devoir de vigilance à 5000 salariés, ce qui exclurait la majorité des entreprises de la logistique du champ d’application. Par exemple, en France il n’y aurait plus que 22 entreprises qui seraient concernées d’après la députée Estelle Ceulemans.

Quelle Europe voulons-nous ?

En toile de fond, une question traverse le débat : l’Union européenne choisira-t-elle la voie de la compétitivité à tout prix ou celle de la justice sociale ?

Pour les syndicats, la révision des règles de sous-traitance, les marchés publics et le rôle renforcé de l’ELA sont des leviers concrets pour construire une économie plus juste.

« Il est temps de restaurer la confiance dans l’Europe, et cela passe par des emplois dignes », a résumé un participant.